Le vrai Canada
Contrairement à ce qu'aiment soutenir les souverainistes québécois, le Canada n'a rien d'un «pays artificiel» au bord de l'éclatement
(Photo ndre Furtado sur Unsplash)
Au cours de la plus récente campagne électorale fédérale, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, en a choqué certains en disant du Canada qu'il s’agissait d’un «pays artificiel»: « Qu’on le veuille ou non, nous faisons partie d’un pays artificiel, qui a très peu de signification, appelé le Canada ». Invité le lendemain à préciser sa pensée, M. Blanchet a ajouté que «le collage qu’est le Canada, s’il se construit en niant l’identité de ses régions et du Québec, ne peut être qu’un pays artificiel ».
Il n’y a dans les propos du chef bloquiste rien de nouveau. Depuis 158 ans, soit depuis la fondation du pays, il se trouve des nationalistes québécois pour soutenir que le Canada est un pays qui tient avec de la broche, voué à l’éclatement. Or, cette prédiction ne s’est pas avérée, et rien n’indique qu’elle se vérifiera au cours des prochaines années. Pourquoi? Parce que le Canada est un vrai pays, dont la grande majorité des Canadiens sont fiers. Selon un récent sondage Léger/National Post, 83% des personnes interrogées sont très ou plutôt fières d’être des Canadiens. Au Québec, ce pourcentage atteint 81%. Le même sondage montre que 49% des Canadiens et 51% des Québécois voient le Canada comme un des pays au monde où il est plus agréable de vivre.
Le patriotisme, ce n’est pas seulement l’amour de son pays, c’est aussi la volonté d’agir pour défendre ce pays. Et, on le voit depuis l’élection de Donald Trump, les Canadiens (dont les Québécois) veulent faire quelque chose pour le Canada. Ça se voit dans des décisions collectives - investir davantage dans la défense de notre souveraineté, diversifier nos marchés - et dans des décisions individuelles - acheter canadien, voyager ailleurs qu’aux États-Unis.
Lors de l’émission Tout un matin sur les ondes de la radio de Radio-Canada en ce 1er juillet, on me demandait s’il n’était pas curieux que le Canada se définisse souvent par rapport aux États-Unis.1 Pas du tout! La Confédération est née en bonne partie par désir de ne pas être envahis par nos puissants voisins, de former une société différente, préservant un régime démocratique distinct, moins susceptible de produire des conflits violents comme la Guerre civile qui venait de déchirer les États-Unis. Avec le temps, nous avons effectivement bâti un pays prospère, pacifique, et plus juste que les Américains. Tel est le Canada!
Bien sûr, il y a des tensions entre les différentes régions et les différentes communautés qui composent notre pays. Rien de plus normal, aucun pays n’est exempt de telles tensions. La réussite d’un pays ne se mesure pas à l’absence de conflits, mais dans la manière - pacifique ou violente, démocratique ou autoritaire - dont ceux-ci sont gérés et réglés. Or, au Canada, jusqu’à maintenant, nous avons trouvé les bonnes façons de gérer ces tensions. Est-ce parfait? Bien sûr que non. Mais le résultat, c’est quand même un pays dans lequel nous avons le privilège de vivre raisonnablement bien et, surtout, pacifiquement.
M. Blanchet et les autres leaders indépendantistes affirment que le Canada «nie l’identité du Québec». C’est complètement faux. Ce qui est vrai, c’est que le mythe des deux peuples fondateurs, cher aux Québécois francophones - et j’en suis - n’est pas partagé par la majorité des Canadiens anglais, qui voient plutôt le Canada comme un regroupement de plusieurs peuples, où les Québécois jouent un rôle important, certes, mais où ils ne sont pas seuls avec «les Anglais». Cette différence de vues est importante; c’est elle qui a mené à l’échec de l’Accord du Lac Meech en 1990. Mais elle ne nous empêche pas de travailler ensemble pour atteindre des objectifs communs, notamment en matière de défense nationale, d’économie, d’environnement et de justice sociale. Elle n’a pas empêché non plus la reconnaissance de la nation québécoise par un vote de la Chambre des communes, en 2006, ce qui n’est pas rien, même si le geste est évidemment minimisé par les souverainistes, qui pourtant se gargarisent à l’importance des motions adoptées presque quotidiennement par l’Assemblée nationale.
Je ne suis pas du genre à vanter le Canada comme le meilleur pays au monde. Il y a là un pétage de bretelles nationaliste que je ne partage pas. Cependant, j’estime que rien n’est plus important pour un pays que d’offrir à ses citoyens la meilleure qualité de vie possible, en particulier la liberté et la sécurité qui sont à la fois si précieuses et si rares. Malgré tous les défis auxquels il doit faire face, le Canada y parvient, bien mieux qu’un grand nombre d’autres pays dans le monde. Les Québécois le savent et le reconnaissent, eux qui malgré leur attachement émotif à ce qu’ils sont comme peuple, demeurent éminemment pragmatiques. Eux qui savent, aussi, que ce pays, ils ont contribué à le bâtir. Que le Canada, c’est leur pays.
Pour cette émission, on m’a aussi demandé quelle était ma «chanson canadienne préférée». J’ai donné deux réponses, une chanson en français (Une chance qu’on s’a, de Jean-Pierre Ferland) et une en anglais (If you could read my mind, de Gordon Lightfoot). Et vous, qu’auriez-vous répondu?
https://www.ledevoir.com/opinion/idees/896335/idees-tous-voeux-51e-etat-culturel-amerique-devenir
Pour cet amour - Monique Leyrac
If you could read my mind - Gordon Lightfoot