La police du «vous»
Le vouvoiement des enseignants est peut-être une bonne idée, mais est-ce vraiment le rôle du gouvernement du Québec de policer ce qui se dit au quotidien dans les écoles?
(Photo Museums Victoria pour Unsplash)
La semaine dernière, le premier ministre François Legault a brièvement rencontré des élèves en visite à l’Assemblée nationale, comme il aime le faire. Il les a notamment interrogés sur le nouveau règlement, annoncé par son gouvernement, obligeant les élèves à vouvoyer leurs professeurs et à les appeler «monsieur» ou «madame». Voici une transcription de cet échange, rapporté par La Presse +:
« Le vouvoiement, qu’est-ce que vous en pensez ? » L’un a répondu que « c’est plus poli », alors qu’un autre a plaidé que cette règle devrait être laissée à la discrétion de l’enseignant. « À notre école, on tutoie les professeurs », a dit une élève. « Mais là, tu es passée au vouvoiement ? » « Non. » « Tu veux dire que tu ne respectes pas le règlement ? Câline, on va aller vérifier ça, c’est quoi ton école ? », a lancé M. Legault, provoquant l’hilarité générale.
C’était drôle, mais aussi révélateur. En effet, en vertu de la nouvelle politique annoncée par le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, à compter du 1er janvier prochain, «en cas de manquement aux règles, des sanctions devront être appliquées selon la gravité des gestes.» Les sanctions seront déterminées par la direction de chaque école.
On suppose que comme pour tous ses règlements, le ministère de l’Éducation surveillera l’application de cette règle. Comment s’y prendra-t-il? Que fera-t-il si une école ne fait pas respecter l’obligation du vouvoiement?
Je ne suis pas contre le vouvoiement des adultes par les enfants, au contraire. Toutefois, j’ai des doutes sur les effets d’une telle mesure sur le comportement irrespectueux de certains jeunes à l’endroit de leurs profs. Si un élève se sent autorisé à lancer une chaise vers son enseignant(e), la règle du vouvoiement ne le calmera pas.
Je me demande aussi si, en imposant cette mesure par règlement provincial, le gouvernement de la CAQ ne pousse pas un peu fort la bouchon de la centralisation. Selon la Loi de l’instruction publique, le code de vie d’une école doit être rédigé par la direction de chaque école, en collaboration avec le conseil d’établissement, où les parents et les membres du personnel sont représentés. L’idée du conseil, c’est justement de «rapprocher les lieux de décision le plus près possible des élèves.»
Or, s’il y a un domaine où il est justifié, à mon sens, de rapprocher les décisions des différents milieux, c’est bien le code de vie en vigueur dans chaque école. Cela assure que le code est le mieux ajusté possible à la culture du milieu, et donc appuyé, endossé par les parents et le personnel. On aura beau avoir un code de vie extraordinaire, s’il ne jouit pas de l’appui des gens du milieu, il ne sera pas respecté.
Le nouveau règlement est accueilli favorablement par beaucoup de Québécois. Pour ma part, je partage l’opinion de l’enseignante à la retraite Jeannine Pitre, recueilli par La Presse +:
Ce n’est pas au ministre de l’Éducation de statuer sur un tel sujet. J’ai enseigné 35 ans dans une polyvalente où le personnel enseignant, la direction et les élèves communiquaient entre eux en utilisant leur prénom. Tout se passait très bien et dans le respect. Le ministre de l’Éducation devrait s’occuper de sujets plus importants, l’achat de matériel pour les écoles, la diminution des dépenses des commissions scolaires, le soutien au personnel enseignant, la rénovation des bâtiments et autres. Un petit cours de politesse ne nuirait sûrement pas, mais ce n’est pas au ministre de l’Éducation de cibler un comportement en particulier et de le rendre obligatoire. C’est aux parents et au personnel des écoles de déterminer les comportements appropriés dans leurs milieux scolaires respectifs.
Tel que mentionné dans un billet précédent, c’est une tendance lourde depuis de nombreuses années: le gouvernement du Québec monopolise de plus en plus les décisions et laisse bien peu de marge de manoeuvre aux instances locales. Cela va à l’encontre des principes de bonne gouvernance et d’imputabilité, qui sont pourtant chers, en principe, au premier ministre.
Il faut dire que cette tendance répond aux exigences de la population elle-même, qui s’en remet le plus souvent au gouvernement, voire au premier ministre lui-même, dès qu’un problème fait surface. Et du même souffle, nous nous plaignons de la grosseur et de l’inefficacité de la bureaucratie. Quel paradoxe!